M O R I T U R I

NUMERO 4 – NIL NOVI SUB SOLE – 1994

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MORITURI
Groupe culte d’Amiens
1986-1996
Noise indus jazz punk hardcore rock français Metal

Morituri 1993

J’ai 18 ans. Je vais voir « Marcel et son orchestre » dans la Fosse de la place de la République à Lille, jour de braderie. La nuit n’est pas encore tombée. Le public clairsemé attend Marcel en vidant des Jenlains. L’ambiance est triste comme un jour de pluie. Un groupe venu d’on ne sait où assure la première partie.
Marcel a ses suiveurs, Morituri n’a personne. En tout cas pas sur Lille. La plupart des présents s’en branlent total. 5 types en noir débarquent au milieu de gros amplis.
Ca promet d’être rock mais peut être pas assez festif.

Et là, la claque.

Celle qu’on ne prend qu’une fois dans sa vie.

Un mur du son qui te rentre dans la tronche. Un ouragan sonore. Un typhon.

D’abord ce mur. Puis le coté hyper carré, une précision au rasoir. Les sons de guitares ? Des scies électriques. Le chanteur ? Une présence de folie. Le batteur ? Un jeu dingue, répétitif, inventif. L’incroyable complémentarité de chaque musicien avec les autres. Une unité irréelle, impossible à trouver, où chaque partie fusionne avec le tout. Et toujours toujours ce son qui vous colle au mur, une énergie qui vous ouvre le corps et la tête, un univers qui vous avale. Du bruit à décrocher les oreilles. Tu sais plus où t’habites. Plus tout à fait sur terre, mais ailleurs, loin ailleurs. « Hors de ce monde ».

Tu regardes autour de toi. Les autres ont-ils senti le même mur ? Pas sûr. Tu as soudain l’impression d’avoir vécu un truc impossible, qui t’es peut-être réservé à toi. Morituri, tu adores ou tu détestes. Ce n’est pas un groupe de juste milieu.

Morituri avait tout, tout tout :
Un batteur de folie, répétitif, trouvant le meilleur motif rythmique pour dégager un maximum d’énergie. Sur scène un viking (ouais il est roux). Magnifique.

2 guitaristes à la complicité irréelle, impensable. Malgré des centaines et des centaines de concert, je n’ai jamais retrouvé cette complicité totale, cette fusion entre 2 guitaristes, voire même 3 quand FP gardait une guitare en plus du chant (Sur H.S. par exemple). Un bassiste au son sec et implacable. Et un chanteur barré, au charisme difficile à décrire (fallait être là !) dont ne savait pas trop s’il chantait en français ou en anglais tellement le groupe jouait fort.

L’originalité. Eux ne pompaient pas un groupe anglosaxons comme tant de rockband français. Ils cherchaient, expérimentaient, créaient leur propre univers. Et les textes. Eux avaient un vrai chanteur, un parolier, un conteur même, déployant un univers de son et de sens. C’était un groupe total.

Ils avaient tout. Tout sauf un vrai contrat. Le groupe a été repéré par le producteur de No one is Innocent. Un contrat avec une vraie maison de disques ? Ca ne s’est pas fait, comme souvent. Et Morituri rejoignit le bastion des groupes à deux doigts de signer, mais qui n’ont jamais signé.

Ils auraient pu être les nouveaux Noir Désir. Ils ne l’ont pas été. Restent quelques enregistrements. Autant de traces de leur furia scénique qui étaient l’essentiel, et selon FP, l’unique but.

Témoignage de Fikret / hooverville :

Entrée

Morituri te salutant : Ceux qui vont mourir te saluent !
Morituri. Voilà vingt ans que ce groupe de rock originaire d’Amiens a cessé toute activité.
Et vingt ans que la musique du combo tient une place privilégiée dans ma discothèque.

Flash-back : Entre 1993 et 1995, avec une poignée d’amis, je traîne les cafés-concerts lillois (Le Caméléon et Le Thémis entre autres), en quête de sensations fortes en matière de rock. Depuis, j’ai découvert d’autres lieux et vu un paquet de concerts, mais rarement j’ai eu le sentiment d’être «au bon endroit, au bon moment».
Ce fut le cas avec Morituri. Notamment ce soir d’hiver 1993, dans la petite salle du Kaméléon, où j’ai eu la chance d’assister à une prestation époustouflante du groupe.

Quelques mois plus tôt, lors de la fameuse Braderie lilloise, un ami avec lequel je partageais une passion pour les groupes à guitares me propose de le retrouver du côté de « La Fosse » à République, pour assister au concert des « Marcel et son orchestre ». N’étant pas un inconditionnel du groupe et occupé à vendre des bricoles sur un stand à proximité, je le laisse s’y rendre seul (les absents ont toujours tort…).
De retour du concert et dans un état second, mon pote me dit quelque chose comme : « En première partie des Marcel, j’ai, soit été victime d’une hallucination, soit assisté au concert d’un groupe génial qui s’appelle heu…Vorituri ? non…Norituri ? merde, c’était quoi le nom d’ce groupe ?».
Moi, plutôt sceptique, je lui réponds : «Ouais, bien sûr, bois un coup, mange un morceau et tu me reparles de tout ça plus tard. » (les sceptiques sont des blaireaux…).

Effectivement, quelques mois plus tard, nous voici au Kaméléon, au premier rang (pas difficile, vu la faible fréquentation ce soir-là), à 30 cm de la scène histoire de ne pas en perdre une miette, attendant fébrilement que le miracle se (re)produise.
Sur scène : cinq mecs habillés sobrement (comparé aux Marcels), armés d’instruments et d’amplis à faire pâlir un débutant fauché (Les Paul, Stratocaster, Music Man, Marshall et Tracey Elliott) nous donne une monstrueuse leçon de rock’n’roll et de musique par la même occasion.
En sortant du concert, je me souviens m’être dit : « Mais d’où sortent ces mecs ? Où est ce qu’ils ont appris à jouer comme ça ? Et d’où est ce qu’ils sortent ces ambiances hallucinantes ? ».
À l’époque et dans les environs, peu de gens étaient capables de réaliser un alliage aussi complexe et réussi, à partir d’éléments empruntés aux scènes punk (pour l’énergie), hardcore (pour la furie), rock progressif (pour les structures alambiquées et à rallonge des morceaux), indus (pour les rythmes répétitifs et oppressants) et enfin, noise (pour toutes les bizarreries sonores).

Et puis, il y a eu la compilation Cat’alogue 94 (du fanzine PRESTO) avec la reprise d’Edith Piaf et bien sûr, le génialissime Nil Novi Sub Sole, grâce auquel on pouvait enfin apprécier l’univers sonore et visuel du groupe, chez soi, bien au chaud et en boucle s’il vous plaît, car à chaque écoute du CD, on découvrait une multitude de détails qui rendait l’objet toujours plus fascinant.
Les deux dernières fois où nous vîmes le groupe en concert, furent au Kaméléon, puis au Thémis.
Les deux fois, nous y amenons d’autres amis. Pour une fois qu’on avait un groupe de cette trempe à se mettre sous la dent.
Pour eux aussi, ce fut la claque, pour ne pas dire la révélation :
Morituri sur scène, c’était une succession d’ambiances du genre : « le calme et la tempête » mais surtout du style « imprévisible ». Le public, la plupart du temps était pris de court  : « Quand est-ce que ça va exploser ? Quand est-ce que ça va se calmer ? Des moments d’attente et des montées d’adrénaline insoutenables… Pour anecdote, quelques mois plus tard, j’assiste pour la 1ère fois à un concert de FUGAZI au Pharos (Arras, mai 1995). Je ne peux m’empêcher, même si cela n’a pas vraiment de sens, de comparer la prestation des américains ce soir-là avec celle de Morituri, délivrée quelques mois plus tôt. Ça paraît dingue, mais je suis presque déçu ! C’est dire si Morituri sur scène était une expérience à part ! (Bon, FUGAZI, c’était la grande classe quand même…)

Une dernière chose, concernant les textes du groupe : là encore un univers pas banal qui me fait penser à ceux de gens comme Burroughs, Lautréamont ou Dante.
En gros : de longs textes narratifs (dont les extraits constituent les paroles des chansons) mettant en scène un personnage central, en quête de… allez savoir quoi et évoluant dans des mondes étranges peuplés d’êtres pas vraiment rassurants.

L’essentiel de Morituri sur disque, c’est finalement, NNSS et 4 (une ébauche du 9, à mon avis le chef d’œuvre inachevé du groupe). L’histoire du rock, c’est finalement ça aussi : de grands disques qui ne verront malheureusement jamais le jour. Morituri avait un potentiel musical suffisamment fort pour influencer le paysage rock français de l’époque. L’Histoire en a décidé autrement, malheureusement pour nos oreilles.

Le but de ce site est bien entendu, de rendre hommage à la musique du groupe mais aussi de faire en sorte qu’il existe une trace de l’aventure Morituri, une source de documents, d’archives, à destination de ceux et celles qui chercheraient des infos. Pas de nostalgie donc, mais juste l’envie de conserver ailleurs que dans nos mémoires et nos collec’ de disques, une trace de cette formation atypique et de la partager avec ceux et celles qui souhaitent (re)découvrir l’univers si particulier du groupe.

Pour finir : Merci les gars ! Merci pour les souvenirs, merci pour les disques et merci pour les entretiens accordés (via le net) durant l’année 2005.

Et bien évidemment merci à votre son (the sound…) de nous faire encore et toujours « croire au SILENCE, croire au VACARME, croire aux MOTS… »